« Seuls les paranoïaques survivent » ! Cette déclaration appartient à Andrew Grove, PDG d‘Intel de 1987 à 1997, et président du conseil d’administration jusqu’en 2004, qui a écrit en 1996 un excellent ouvrage qui porte cet intitulé quelque peu provocateur.
Andrew Grove explique en effet que le moteur psychique qui lui a permis de mener son entreprise au sommet a été durant près de quatre décennies, la peur intense des concurrents, des progrès techniques, la peur permanente de se faire dépasser, de ne pas pouvoir s’adapter à l’évolution et de périr. En somme, le stress qui l’a forcé à se remettre en cause de façon permanente quitte à en devenir paranoïaque[1].
Cette crainte permanente du changement, Andrew Grove l’a théorisée au travers de la notion de « Point d’inflexion stratégique ».
Un point d’inflexion stratégique se caractérise par « une modification radicale de la façon de travailler de sorte que, se contenter d’adopter une nouvelle technologie ou de lutter contre la concurrence comme on le faisait auparavant a toutes les chances de se révéler insuffisant ».
Un point d’inflexion stratégique peut aussi bien se traduire par la disparation de l’entreprise qui en est frappée, que par de nouvelles opportunités de business et de croissance. L’histoire ne manque pas d’exemples d’entreprises qui ont subi de plein fouet de tels changements (Kodak, Nokia) ou à l’inverse qui sont à l’origine d’un point d’inflexion stratégique (Microsoft avec Windows, Apple avec l’iPhone).
Sur ce sujet, Andrew Grove écrivait « Nous vivons une époque où le pouls des évolutions techniques bat de plus en plus vite, générant des ondes de chocs centrifuges qui finissent par toucher tous les secteurs d’activité. Il est désormais impossible d’anticiper la concurrence, elle surgira là où on l’attend le moins ou découlera de la mise en œuvre de nouvelles approches ».
C’était il y a 20 ans ! Or, Andrew Grove constatait déjà ce que John Chambers, CEO de CISCO constatait lui-même, mais en… 2015 en déclarant « Disrupt yourself or risk being disrupted by the competition »[2]
On parle aujourd’hui de disruption ou d’uberisation, mais il s’agit précisément des points d’inflexions stratégiques évoqués par Andrew Grove en 1996.
La transformation dite digitale a donc commencé il y a bien longtemps, et si Andrew Grove considérait, il y a 20 ans, qu’il vivait une époque où le pouls des évolutions techniques battait de plus en plus vite, nous devons alors considérer en 2017 que nous sommes en situation de tachycardie, car le rythme ne cesse de s’accélérer.
D’ailleurs, nous devrions parler non pas de « Transformation » digitale, mais de « Révolution » digitale au sens étymologique du mot latin « Revolutio », c’est-à-dire le mouvement d’un objet autour d’un point central le ramenant périodiquement au même point. Ainsi, la transformation digitale doit être appréhendée comme un mouvement perpétuel.
Le changement est désormais permanent.
C’est le rythme, le timing qui prend toute son importance. Les cycles se multiplient et ils sont courts, parfois très courts, du fait de la rapidité de l’émergence des technologies, mais aussi, voire surtout des nouveaux modèles.
La transformation digitale est donc depuis de nombreuses années une constante, un mouvement perpétuel – parfois erratique – et c’est l’accélération de son rythme qui caractérise l’époque que nous vivons.
Incertitude et vitesse sont les marqueurs de la transformation digitale actuelle et nous constatons sur le terrain que cela conduit à une perte de sens et une perte de contrôle pour les collaborateurs et leurs managers.
Perte de sens et perte de contrôle en raison du rythme des changements qui ne cesse de s’accélérer. Imaginez-vous dans un grand huit qui ne se termine jamais ! Souvent, lors de réunions de lancement de projets de transformation, nous entendons les collaborateurs se plaindre de la mise en œuvre du énième plan de transformation alors que le précédent n’est pas terminé et n’aura pas produit tous les résultats attendus.
Perte de sens et perte de contrôle parce que les entreprises se cherchent. La période implique un bouleversement du pilotage interne et de la structure des organisations (on sait que l’on doit être agile sans trop savoir où commencer pour le devenir). Les collaborateurs en arrivent à ne pas savoir quel est leur rôle, ce qu’ils doivent faire et comment. Ils restent alors dans leur zone de confort : même organisation, même réflexes, se créent une nouvelle réalité et entre inconsciemment en résistance avec tout changement.
Perte de sens en raison d’une mauvaise communication, mais parlons plutôt d’un défaut de compréhension, car la communication ne suffit pas. Rappelez-vous ce qui est important c’est la manière dont le message est reçu et non pas la manière dont il est émis.
Apporter de la consistance au projet transformation
Les acteurs de la transformation dans l’entreprise sont souvent trop concentrés sur la cible à atteindre. On ne peut leur en tenir rigueur, pendant des années nous avons considéré que l’objectif et les résultats illustraient la réussite d’un projet.
Nous proposons d’envisager la chose autrement, oserais-je écrire plus humainement.
Ainsi, avant d’expliquer à vos collaborateurs les résultats que l’entreprise souhaite atteindre au travers de son « nouveau plan de transformation », il est primordial d’expliquer et de donner du sens au chemin qui doit être parcouru et à l’intérêt pour vos collaborateurs d’engager la démarche.
Pour faire cela, il faut que le comité de direction et les managers aient déjà engagé entre eux cette réflexion et qu’ils en soient convaincus. En effet, ce n’est pas (plus) une démarche naturelle de s’interroger sur le sens des choses que nous faisons. La pression de la concurrence globale et du résultat ainsi que l’hégémonie de l’immédiateté, ne nous laissent plus le loisir de nous « poser » (d’où en réponse une attirance pour la méditation qui commence à faire son entrée dans nos entreprises…).
Le meilleur moyen de donner du sens, c’est de raconter une histoire avec un début, une intrigue et plusieurs dénouements possibles. Il faut contextualiser le projet de transformation pour obtenir l’adhésion. Ce n’est pas en fondant toute sa communication sur des concepts de rationalisation et d’agilité que l’on fait rêver les collaborateurs d’un avenir meilleur.
Les médias font très régulièrement l’apologie de jeunes sociétés agiles qui proposent à leurs collaborateurs un projet d’entreprise doublé d’un projet personnel et dans lesquelles il fait bon travailler. Il faut par conséquent être à la hauteur des jeunes pousses qui réinvente la relation au travail.
Posez-vous donc les questions suivantes : quels sont les fondamentaux de votre entreprise ? Quelles sont les valeurs que vous voulez défendre sur le marché ? Quel(s) rêve(s) faites-vous pour votre entreprise dans les 3 ou 5 années qui viennent et pourquoi une transformation est nécessaire pour atteindre ce rêve ? Quelle histoire avez-vous envie de raconter à vos collaborateurs afin de leur transmettre ce rêve et les amenez à se transcender pour l’atteindre ?
Sortir de son entreprise
Une fois ces fondamentaux posés, vous serez assurés d’engager votre transformation par le début et de ne pas prendre de décisions hâtives. Très souvent sur le terrain, nous constatons qu’un plan de transformation se résume à une liste d’actions opérationnelles décrétées par le CODIR, sur la base d’une réflexion essentiellement fondées sur ce qui ne fonctionne pas dans l’entreprise.
C’est une vision court-termiste qui conduit souvent à l’abandon de ce qui s’apparente à un plan de transformation.
Une transformation n’est pas que l’apport de solution à ce qui ne fonctionne plus dans l’entreprise, ce doit être une ambition plus grande pour cette dernière qui implique de prendre de la hauteur et d’aller voir ce qui se passe ailleurs !
Un autre constat sur le terrain, d’autant plus pertinent que la taille de l’entreprise se rapproche de la PME, les dirigeants ne sortent pas assez de leur entreprise. Il nous arrive régulièrement d’accompagner des dirigeants d’entreprise de même taille dans un même secteur d’activité mais sur des branches différentes. Ils ont exactement les mêmes enjeux et les mêmes défis, mais n’ont que rarement l’occasion de les partager !
Il faut sortir de sa zone de confort. Les dirigeants doivent sortir de leur entreprise pour challenger leurs idées, leurs décisions et revenir bousculer leur CODIR.
Comprendre les vertus de l’échec
Accepter « l’échec » est une autre composante à apporter à vos projets de transformations.
Il est important d’expliquer que devant l’évolution des modèles existants, il est préférable de ne rien présupposer et de faire confiance à l’apprentissage tout en regardant ce qui se passe au-delà des murs de l’entreprise.
En effet l’apprentissage (on parle de « Test and Learn »), l’amélioration continue deviennent tout aussi important que le résultat et la réussite.
Pendant des années, on a essayé de programmer les ordinateurs pour réaliser une tâche précise. Maintenant on comprend qu’il ne faut pas d’algorithmes précis mais plutôt une collecte massive d’informations utilisées conjointement avec des algorithmes d’apprentissage pour trouver des solutions à des problèmes. Cela s’appelle le « Machine Learning ». Trop longtemps nous avons eu le culte de la réussite plutôt que celui du test, du retour d’expérience et de l’amélioration.
Plus que des objectifs précis, il est important de leur donner du sens et d’ériger le droit à l’erreur en principe et non plus en exception.
En conclusion, si l’extraordinaire période que nous vivons est caractérisée par la vitesse et l’incertitude, des fondamentaux subsistent. Ainsi, mettre les Hommes autour de la table, donner une vision, expliquer le sens du travail à accomplir, répartir les rôles et coordonner, resteront toujours, quoi qu’il en soit, un gage de réussite de vos projets de transformation.
Plus que jamais, que l’on soit entreprise traditionnelle ou pure player, il importe de remettre l’humain et les valeurs au centre de l’entreprise. La solution est d
[1] Source Wikipedia
[2] http://www.crn.com/news/networking/300075285/ciscos-chambers-disrupt-yourself-or-be-disrupted.htm